Hassan Hami

Philosophie Science et Covid 19

La Journée international de la philosophie organisée par l’UNESCO Institut de la Philosophie, de la Sociologie et du Droit, Académie nationale

des Sciences d’Azerbaijan (Baku, 14 juin, 2021)

La philosophie, la science et le Covid-19

Hassan Hami, PhD, Sciences Politiques

Nizami ne se serait pas offusqué de voir les gens patauger et de ne savoir pas à quel saint se vouer. Il aurait mis leur geste sur le compte de la quête de la sécurité et de l’assurance. Une sécurité et une assurance avant tout psychologique, mélangeant le confort émotionnel et la quiétude spirituelle.

Nizami aurait perçu la pandémie du Covid 19 comme une interpellation de son talent de poète (pour inventer une poésie imprégnée de sagesse et d’appel à la retenue), de philosophe (pour poser des questions pertinentes à même de situer le débat sur la pandémie dans son contexte ici et maintenant), de mystique (pour aider à aiguiser la flamme de la méditation). En somme, il aurait montré sa vocation d’humaniste pour interroger ce qui reste d’humain dans un monde pétrifié par la solitude de tous genres.

Si bien que la proclamation par l’Azerbaïdjan de l’année 2021, comme ‘Année Nizami Gandjavi’, à l’occasion du 880e de sa naissance, tombe à point nommé. Nizami, qui appartient à ce vaste espace civilisationnel qui embrasse des cultures plurielles, et dont la production multidisciplinaire forge une identité à la fois diverse et singulière, aurait été, sans doute, une voix sublime de rassemblement, de fédération, d’unification des efforts pour faire face à la pandémie Covid 19 –et appeler les gens à garder la sérénité requise tout en cherchant la réponse idoine.

C’est le cas pour moi de partager une réflexion centrée sur trois types de comportement qui résultent de la propagation de la pandémie et qui mettent en scène le télescopage d’une part, entre la science et la philosophie d’une bonne partie de ceux qui sont censés donner la réplique et rassurer les autres. Et de l’autre, la persistance d’un le vide intellectuel et émotionnel chez la majorité d’entre ceux qui veulent faire amende favorable pour avoir été moins regardants sur l’évolution des rapports de force entre l’Homme et la Nature.

Personne n’osera prétendre que la pandémie (ou toute autre fléau) n’aura pas été perçue depuis une décennie au moins. Des voix d’hommes de science, de politiciens et d’environnementalistes n’ont eu de cesse de mettre en garde contre nos modes de vie qui frisent l’absurde et chosifient l’Homme. L’ascendance d’une certaine culture prétendument de bien-vivre, d’identification à des symboles, de mimétisme négateur de l’esprit créatif et d’automatisme ravageur ont fini par rendre l’Homme une sorte de coquille vide.

Il aura fallu que le danger frappe à la porte de tous les pays, sans exception aucune, pour que la communauté des hommes prenne conscience qu’il y a risque de voir ce qu’elle considère comme réalisations gigantesques dans les secteurs de pointe est sur le point de s’écrouler –et de disparaitre à jamais. Et comme par le passé, la panique allant crescendo, les opinions fusent dans l’arène et ajoutent à la cacophonie.

Dans un premier temps, les opinions sont partagées entre l’incrédulité, la diabolisation et l’indifférence. Dans un deuxième temps, elles succombent à la tentation des réseaux sociaux dominées par des communautés d’individus qui n’ont pas la langue dans leurs poches et qui s’érigent en savants patentés. Dans un troisième temps, elles raffolent de la théorie de la conspiration.

Ridicules ces opinions ? Pas du tout, elles expriment un nouveau choc d’une magnitude aussi forte que celle provoquée par le choc des civilisations ou l’absence de repères déjà exprimées par Aldous Huxley1, Georges Orwell2, Samuel Huntington3 et bien avant ces théoriciens modernes par Nizami. Nizami qui demeure une énigme et un puzzle pour les chercheurs de par l’étendue de son savoir et de ses connaissances qui embrassent des espaces culturels et civilisationnels contrastés et complémentaires en même temps. Nizami dont la poésie est un hymne à la vie et dont le décodage -aux dires de ceux qui succombent à sa magie ou se mesurent à son verbe- intrigue et passionne à la fois.

A l’instar de Huxley, d’Orwell, d’Arnold Toynbee4, Nizami est un visionnaire, c’est-à-dire, un humaniste au vrai sens du terme. S’il est connu pour avoir dédié ses œuvres poétiques aux différents princes et hommes puissants de Gandja et des territoires voisins, il est réputé aussi pour s’être gardé d’être un apologiste moisissant dans leurs cours ou cherchant leurs faveurs ou protection.

Devant le choc, l’appréhension, l’inquiétude grandissante, le réveil tardif et la multiplication des interrogations provoqués par Covid-19, les gardiens du temple du savoir scholastique, les défenseurs de l’exégèse et les bénéficiaires des modes de gestion de l’Homme (en tant que produit) s’échangent les anathèmes et rivalisent dans les diatribes. Les pouvoirs publics dans tous les pays sont pris dans le filet des revendications des tous genres, alors que la question fondamentale est celle de la recherche d’une solution rapide au fléau dévastateur.

La manipulation des opinions, le recours à l’intimidation et l’administration de solutions de replâtrage perdent de leur magie. L’Homme est placé devant ses responsabilités. Comble d’ironie, il n’arrive pas à définir ce que signifie la responsabilité. Responsabilité par rapport à soi ? Responsabilité par rapport à sa petite famille ? Responsabilité par rapport à sa grande famille ? Quel est l’espace identitaire auquel il doit s’identifier ? Sa communauté ? Son village ? Sa ville ? Sa région ? Son pays ? Sa communauté idéologique extraterritoriale et transnationale ? Ses convictions religieuses ?

Il était assez surprenant d’écouter les premières réactions des gardiens du temple. Dans l’espace islamique, la montée au créneau des théologiens (et de charlatans de tous bords) est une source d’interpellation sur leur capacité à donner des réponses convaincantes à une question simple : est-ce que le verbe est suffisant pour donner confiance aux gens devant une pandémie qui fait ravage ? La majorité des théologiens ou érudits puise dans la spiritualité perçue autrement pour se positionner. La réponse typique est généralement la suivante : “La pandémie est un message d’Allah qui punit l’Homme pour avoir oublié de respecter les préceptes de la religion et de s’être adonné à une matérialité nocive et répugnante à tous les égards !’

La même réaction est partagée par des communautés chrétiennes et juives orthodoxes. Tout cela, jugent-elles, est la résultante de l’abandon de la religion. Des scènes hallucinantes d’évangélistes ordonnant au virus de Corona de quitter le corps de paroissiens affolés ont fait le tour du monde. Ces scènes

n’ont d’égales que des sorties de centaines de personnes dans des pays musulmans pour aller faire la prière dans les mosquées malgré le couvre-feu décrété par les autorités afin de limiter la propagation du virus. Ceci sans parler de l’insubordination à porter les bavettes ou à respecter les recommandations de distanciation dans les espaces publics et des lieux de travail.

Or, plus que le refus de reconnaitre le danger et de se soumettre aux injonctions des pouvoirs publics, il y a la métamorphose d’une sorte de haine sociale. Il est observé une certaine nonchalance (aux allures douteuses) de voir les différentes hiérarchies sociales se superposer. La non-observation des consignes de sécurité et d’hygiène est criarde dans les milieux dits populaires. Les milieux relativement aisés ne sont pas en reste : ils exagèrent la retenue ou, contagion spirituelle attrapée, ils se donnent la main pour décréter la rébellion avec l’idée sous-jacente de voir la pandémie leur permettre de sévir, une fois la vie rentrée dans l’ordre.

Un comportement schizophrène de part et d’autres qui traduit la question fondamentale, celle de la solitude de l’Homme. Et Jean Paul Sartre de voir son verdict : ‘L’enfer, c’est les autres’ de retentir comme une malédiction pour les uns, et une providence pour les autres, lui qui conçoit l’absurde comme un comportement irrationnel de l’Homme qui justifie sa présence sur terre même à l’insu de Dieu qui l’aura créé. Les réponses toutes faites ne riment plus à rien – et elles sont rejetées par tout le monde tout en restant à portée de la main, en cas de besoin de parer au plus pressé.

Au mépris et à l’ostracisme social est venu s’ajouter l’égoïsme dissimulé dans des compagnes de sensibilisation à connotation sectaire. L’espace de la cohabitation se rétrécit comme peau de chagrin. Et vite, on se rend compte que les différentes gesticulations théologiques, intellectuelles et idéologiques posent une fois encore -mais cette fois-ci de manière éloquente-, la double question identitaire et existentielle des individus, des groupes et des societés.

Si bien que les pouvoirs publics partout dans le monde prennent conscience qu’il doivent enclencher sérieusement le processus de recherche d’un vaccin afin de ralentir la propagation du virus et permettre, plus tard, une immunisation à l’échelle planétaire. Des scientifiques affolés et mal inspirés n’hésitent pas à proposer que les expérimentations doivent avoir lieu d’abord en Afrique pour s’assurer que le vaccin est efficace avant de le généraliser en Europe et dans les pays dits civilisés. Des propositions scandaleuses, vite condamnées par la communauté scientifique de par le monde.

Pour l’anecdote, cela rappelle le personnage principal de ‘Heart of Darkness’ (J. Conrad, 1899) qui est dépêché au Congo pour civiliser des populations africaines autochtones et qui finit par être apprivoisé lui-même, perdant et le sens de la civilisation et le sens de la raison. Le même raisonnement est vilipendé par Ousmane Sembène, cinéaste sénégalais, qui se révolte au début des années 1960 contre les anthropologues et réalisateurs européens qui ‘traitent les Africains comme des insectes’.

De même, il y a la bataille rangée entre les laboratoires pharmaceutiques et les groupes de pression de différents calibres qui tentent de se positionner pour rafler la mise, une fois le vaccin providentiel est fabriqué. Ils y procèdent par étapes. Tout d’abord, en remettant en cause les compétences de biologistes et épidémiologistes de renom dans leurs propres pays. Ensuite, en se lançant dans une course effrénée pour être les premiers à proposer un vaccin et à monopoliser le marché de la distribution et ainsi augmenter largement leurs chiffres d’affaires.

La bataille rangée est promue et soutenue par des politiques qui y trouvent une échappatoire à leur incapacité et impuissance à prévenir le chaos et à gérer ses conséquences. Ils sont tenus responsables pour n’avoir pas donné suite aux avertissements et mises en garde lancés par des scientifiques et militants de la société civile mondiale.

Et les fatalistes, endossant de brassard de moralistes de service, de scander à n’en pas finir que la planète terre n’en peut plus de supporter les transgressions que l’Homme fait subir à la nature. On se lamente de voir que d’ici les années 2050, la population mondiale atteindrait 9,8 milliards. Il faut faire en sorte que la vie ne disparaisse pas sur terre. Les différentes pandémies sont donc justifiées. Il faut procéder par étapes pour que ne survivent que le plus robustes. Un appel scandaleux non pas à respecter la sélection naturelle, mais une invitation au génocide avec la complicité des scientifiques et la bénédiction de certains philosophes et professionnels de la religion ainsi que les promoteurs des différentes doctrines ‘dites humanistes’.

Serait-on tenté d’être aussi pessimiste ? Pas du tout. La conscience et l’instinct de survie de l’Homme trouvent leur écho chez des philosophes et des scientifiques sérieux et dévoués à la recherche salvatrice. Les deux catégories finissent par poser les bonnes questions et essayer d’y trouver les bonnes réponses. Ils obtiennent une victoire éclatante en clouant le bec des objecteurs

de conscience, des virtuoses de la manipulation et des opportunistes toutes catégories comprises.

La philosophie et la science permettent aux individus et aux societés de comprendre que l’on peut vivre avec peu de choses et que la priorité est donnée à la vie. Elles les invitent à méditer sur leur sort et de faire en sorte qu’ils ne soient pas ‘un produit de consommation’. Après tout, c’est leur rôle de les convaincre à lutter contre la pratique de la passivité et de l’indifférence qui fait d’eux ‘des non personnes’ et d’avoir surtout droit au chapitre.

Covid-19 une catastrophe ? Sans doute, mais elle est aussi un rappel à l’ordre. Elle aura permis à la communauté scientifique, aux penseurs -toutes disciplines confondues- de sortir de leur nonchalance -voire leur hibernation- et de chercher à établir un équilibre cohérent et sain entre la raison et la passion afin de ralentir la course effrénée contre la vie.

Notes

1 Huxley Aldous : ‘Le meilleur des mondes, Brave New World, 1932’, Tr. Jule .Castier, Editions du Groupe Ebooks Libres et Gratuits

OrwellGeorges:’1984’SeckerandWarburg,1949 2
Harrison Lawrence & Samuel Huntington: ‘Culture Matters, How Values Shape Human Progress’, Basic Books, 3 .2000

.(Toynbee Arnold: ‘ A Study of History’ 12 volumes, Oxford University Press (1934-1961 4

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